25 juin 2016

Nouveau service Bloctel : utile ou pas ?

Service Bloctel
Le service Bloctel est entré en fonctionnement il y a quelques semaines. Il succède à Pacitel, service qui visait le même objectif mais qui est tombé faute de financement et de bonnes volontés en décembre 2015. Alors Bloctel réussira-t-il là où Pacitel a échoué ? On reprend les mêmes et on recommence.

De Pacitel à Bloctel

Qu'est-ce que Pacitel ?

Pacitel est une initiative née en 2011 afin de réguler le démarchage téléphonique à des fins de prospection commerciale et marketing. Il s'agit d'une démarche construite sur la base du volontariat par les entreprises participantes, qui s'engagent à ne pas démarcher les particuliers inscrits sur cette liste. Cette démarche d'autorégulation a été initiée par cinq fédérations professionnelles, représentant 80% des professionnels faisant appel au démarchage téléphonique. Fin 2015, le manque de moyens financiers et les nouvelles obligations nées de la loi Hamon, mettent fin à cette initiative.

La naissance de Bloctel

Il aura fallu deux appels d'offre pour que la loi Hamon, datant de 2014, prenne enfin corps dans le quotidien des français. Le premier appel d'offre, en mai 2015, a été déclaré infructueux. Pacitel était le seul candidat à avoir répondu à l'appel d'offre, mais sa prestation a été jugée insatisfaisante par les services du secrétariat d'état à la consommation. Un second appel d'offre a permis à la société Opposetel de remporter l'appel d'offre et de se voir concéder le service pour une durée de 5 ans. Paradoxe, la société Opposetel est composée des mêmes principaux dirigeants que le défunt Pacitel, eux-mêmes professionnels du marketing direct.

Les limites de Bloctel

A la présentation de Bloctel, plusieurs avis émanant notamment d'associations de consommateurs mais aussi de professionnels du marketing direct, ont exprimé un certain scepticisme quant à la capacité de Bloctel de remplir son office. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord des raisons d'ordre déontologique, eût égard à la provenance des dirigeants de la société Opposetel. Ensuite, pour des raisons intrinsèques à la réglementation en vigueur, qui permet de passer au travers des grilles tendues, censées protéger le consommateur contre le démarchage abusif.

Conflit d'intérêt à la tête d'Opposetel

Bloctel est un service public. Malgré l'officiel "bloctel.gouv.fr", ça n'est pas l'État qui gère le service, mais une société privée, opérant sous le régime de la concession de service : Opposetel. Cette société a été créée de toutes pièces pour répondre à l'appel d'offre du secrétariat d'état à la consommation. Jusque là pas de souci ; c'est ensuite que les choses se gâtent.

Qui dirige Opposetel ?

Le président de la société Opposetel est M. Eric HUIGNARD dont les autres fonctions professionnelles sont :
  • gérant de la société H Communications, agence de communication;
  • gérant de la société H Consultants, conseil en marketing et exploitant des marques commerciales SOS fichiers, SOS Phoning, SOS email, SOS Routage, Fichier Kaviar, Fichiers Kolbert, Fichiers Kar's,…;
  • gérant de l'entreprise SOS Fichiers, spécialiste de l'achat ou de la location de fichier de prospection, d'entreprises et de particuliers, postal, emailing; sms, gestion de fichiers, enrichissement et traitement de bases de données; impression et routage postal, prestations multicanal, datamining;
  • Président de la société HSK Partners, société de services de marketing direct;
  • gérant de la société HSK Editions, agence de publicité;
  • gérant de la société HSK MD, société de marketing direct spécialisée dans le traitement et d'hébergement de fichiers et bases de données commerciales (fichiers hauts revenus,…) exploitant la marque commerciale Safig-Data;
  • gérant de la société KLINICK, agence de publicité;
  • Président du syndicat professionnel SNCD (Syndicat National de la Communication Directe);
  • Ancien Président de Pacitel;
  • Administrateur de Balmétrie, GIE destiné à mesurer l'audience du courrier publicitaire;
La société Opposetel compte par ailleurs parmi ses administrateurs :
  • la société AMABIS, présidée par M. Valéry FRONTÈRE est une entreprise spécialisée dans le marketing direct et l'adressage postal;
  • la société CBC DEVELOPPEMENT, présidée par M. Claude BITON, est une entreprise spécialisée dans les centres d'appels et la gestion de la relation client;
  • la société HSK PARTNERS, présidée par M. Eric HUIGNARD (cf. ci-dessus);
  • la société d'Analyse Informatique de Données AID, entreprise spécialisée dans le Big Data, la relation client et le marketing, dirigée par M. Arnaud CONTIVAL.

Les contrôlés sont aussi les contrôleurs !

La société Opposetel est gérée par des dirigeants de sociétés opérant dans le domaine du phoning, du marketing direct et du démarchage téléphonique. Ce sont d'ailleurs pour certains, d'anciens gérants de… Pacitel. Certes, au ministère on nous répond que la société Opposetel est régulièrement contrôlée par la CNIL et qu'elle ne peut pas utiliser les données qui lui sont confiées. Il n'empêche qu'au niveau de la ménagère de moins de 50 ans, c'est un peu comme si on donnait les clefs des Alcooliques Anonymes au syndicat des viticulteurs bordelais. Un anachronisme doublé d'un non-sens. Le message ainsi véhiculé sera perçu de manière confuse par le grand public, et pour cause : il est difficile d'admettre que le contrôleur puisse être le contrôlé.

Certes les dirigeants sont techniquement qualifiés, et, de ce point de vue ce choix est compréhensible. En revanche, leur choix est discutable d'un point de vue déontologique mais également d'un point de vue technique : il existe de nombreuses SSII capables de gérer ces bases de données et de contrôler que les fichiers des marketeurs sont exempts de tous contacts présents dans la liste Bloctel. Cela aurait cependant supposé que les SSII aient accès aux fichiers des marketeurs et les contrôlent ; situation que les marketeurs auraient probablement refusé. De cette manière le secret de fabrication des fichiers de prospection est bien gardé puisque le contrôleur fait partie de la maison.

Les limites intrinsèques au dispositif Bloctel

La loi Hamon du 17 mars 2014 a posé quelques exceptions à l'encadrement de l'interdiction du démarchage téléphonique des personnes inscrites sur la liste gérée par Bloctel. Les exceptions sont énumérées par la loi. Sont ainsi autorisés le démarchage téléphonique :
  • Par les professionnels chez qui vous êtes client. (Cas normal d'un appel non abusif, mais qui peut être biaisé car la notion de client n'est pas définie. Pendant combien de temps après un achat reste-t-on client d'une entreprise ?).
  • Pour des appels de prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines. (Une pression du lobby des médias ?)
  • Pour des motifs qui ne concernent pas la vente de biens ou de services tels que :
    • Les appels émanant d’un service public. (Cas normal).
    • Les appels émanant d’instituts d’études et de sondage. (Cas limite).
    • Les appels émanant d’associations à but non lucratif. (Cas limite, les associations caritatives et les partis politiques sont dans cette catégorie).
  • Si vous avez communiqué de manière libre et non équivoque votre numéro afin d’être rappelé.(Cas manifestement abusif).
J'imagine que les professionnels peu scrupuleux du marketing et des centres d'appels vont s'engouffrer dans le dernier point de la loi : « vous nous avez communiqué votre numéro de téléphone ». C'est d'ailleurs ce qu'ils font déjà en règle générale. Ensuite, le consommateur aura beaucoup de mal à identifier la société appelante, qui est de plus en plus un centre d'appel au Maroc ou à Madagascar, qui transite par un numéro local loué pour le temps de la campagne marketing. Il est même parfois difficile de connaitre la société commanditaire de la campagne marketing : absence de notoriété de la société, société qui disparait aussi vite qu'elle est apparue… Dans ces conditions, il va être très difficile voire impossible pour le consommateur d'identifier l'appelant fautif. Il sera encore plus difficile pour les services de Bloctel de poursuivre un professionnel dont on ne connait rien ou qui est situé en dehors des frontières nationales.

Cette dernière exception, à elle seule, neutralise tout le dispositif de la loi. Et ne la rend applicable que pour les grandes sociétés, dont la marque aurait à souffrir d'un manquement à la loi. Toutes les autres sociétés, PME, artisans ou soi-disant tels passeront en dessous du radar et ne seront pas plus inquiétées qu'auparavant. Cela donne l'impression que quelque-chose a été fait, mais pas suffisamment pour que cela soit efficace. Même si du coté du Ministère, Martine Pinville twittait triomphalement le 2 juin 2016, (soit le lendemain du lancement officiel du service) :

Le dispositif Bloctel comporte également deux autres limites :
  • il est inefficace contres le démarchage publicitaire par le biais de SMS/MMS reçus sur le téléphone portable. Ceux-ci font l'objet d'un dispositif particulier : la plateforme 33700, qui permet de signaler les SPAMS publicitaires par SMS/MMS.
  • il est inadapté contre les appels frauduleux : ping call et autres appels dont l'objectif est d'abuser et arnaquer le consommateur.

Les polémiques à propos du dispositif Bloctel

Il y a une trop grande proximité entre la société Opposetel, dépositaire d'une concession de service public et la société HSK Partners Cette trop grande proximité se manifeste notamment par le fait que la société Opposetel a ses bureaux dans les locaux de HSK Partners. Dont M. Éric HUIGNARD est également président. Une trop grande proximité qui ajoute au soupçon de manque d'indépendance à l'égard d'Opposetel (voir ci-dessus la problématique liée au conflit d'intérêt).

Deuxième élément qui fait polémique : la nécessité, lors de l'inscription de forunir beaucoup plus de données personnelles que nécessaire. J'explique. En inscrivant son numéro de téléphone sur la liste Bloctel, on doit également fournir ses nom, prénom et adresse complète. Cette inquiétude n'a d'ailleurs pas échappé aux journalistes du Monde qui ont interrogé la Secrétaire d'État à ce sujet. La réponse de Martine Pinville in extenso :
« Les noms, prénoms et adresses sont utiles en cas de contestation, notamment si une personne en inscrit une autre. Cela pourra être vérifié en fonction de l’adresse et du nom. Par ailleurs, si le consommateur perd son accès à Internet, il pourra être contacté par courrier. »

Réponse qui n'a pas convaincu grand monde : il est en effet difficile d'imaginer qu'une personne va se plaindre d'avoir été inscrite sur cette liste à son insu. L'argument est apparu farfelu à plus d'un.

Pour résumer, nous pouvons dire que malgré la campagne médiatique opérée par le secrétariat d'état à la consommation sur le sujet, le nouveau dispositif Bloctel n'est pas la panacée. Les professionnels eux-mêmes reconnaissent qu'il ne réduira le volume des fichiers utilisés pour le démarchage que de 25%. Un dispositif qui manque d'ambition bien qu'il affiche des moyens juridiques et administratifs adaptés.



Cet article est issu d'un dossier.


Consultez les autres articles du dossier ici.


0 réactions:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires déposés sur le site sont modérés à priori. Il se peut donc que vous deviez attendre avant de voir apparaître votre commentaire.

 

Agenda

     Connexion Mobile - Infos Éditeur


Copyright © 2007 - 2016 - Tous droits réservés
Logo Connexion Mobile


Contacter l'Éditeur de ce site


A propos

Connexion Mobile Copyright © 2007-2015 This Blog is Designed by Ipietoon